comment j’ai eu peur d’un chou-fleur…

 

 

j’ai expérimenté le chou-fleur qui fait peur,
j’en ai fait une effilochée au curry + huile d’olive sel poivre /

je savais pas quoi en faire,
je pensais le jeter mais pas : guerre en Ukraine ça craint –
pas : on jette pas –
une fois recuit, réduit par le presse-purée entre parenthèses ça fabrique du jus et l’effilochée reste au dessus dans la tourniquette bref le bordel

cuisson : d’abord rien d’abord congelé en entier tout entier
ensuite cuit tout entier tout congelé crispé dans une marmite
ensuite jamais cuit jamais
ensuite ça pue ça pue ça pue trop ça pue tant et tant
gênée je le remets au frais une fois froid
ça pue quand même au frigo
je le couvre avec un film
une fois filmé je sais toujours pas quoi en faire

très fort je pense le jeter j’en parle à la voisine
guerre en Ukraine pas jeter le chou-fleur
elle me donne des pommes on sort les poubelles
il me fait peur le chou-fleur quand je le sors du frigo
je peux pas le jeter
je cherche sur internet je vois purée de chou-fleur au curry
je le recuis en le découpant mais c’est pas un poulet
je le recuis mais il cuit pas

il cuit jamais j’ai peur du chou-fleur même en bouquets
j’en ai marre j’éteins sous le chou-fleur je pense à autre chose
plus tard je reviens je fabrique l’effilochée telle que décrit plus haut
j’en prélève un peu je saupoudre de curry je verse l’huile d’olive
je sale je poivre d’Indonésie
encore tiède dans un bol blanc

dans un autre bol blanc je mange une banane au calva
& j’entends Philippe Katerine des bisous des bisous des bisous
je ne veux plus jamais travailler plutôt crever
non mais laissez-moi manger ma banane tout nu sur la plage

 

 

 

(des choses sur l’étonnement)

 

 

il n’y aura que des flots faux

tes impressions avec des mots
on s’en fout

auras beau te tenir à l’orée
des fleuves et des clairières

on s’en fout

n’y aura que des flots faux
des petits machins cyniques

du tu disparu
des signaux faibles

ému des souvenirs
à balancer aux lions inexistants

qui a déjà vu un lion ?

Musée Guimet, Paris

un calme règnera ?

 

 

un calme règne
une lumière blanche étrange
de ces jours sans nom
jours indifférents
exister dans les interstices

 

un calme règne
d’un autre jour
sa lumière bleutée douce
des questions l’horizon
des réponses l’absence

plus rien qui danse /

 

Autrefois quand la Terre était solide, je dansais, j’avais confiance. À présent, comment serait-ce possible ?
On détache un grain de sable et toute la plage s’effondre, tu sais bien.
Henri Michaux, « La Ralentie » in L’espace du dedans (1944)

 

 

rien sans souffrir
rien ne suffit
se déposent sur la page

ou encore
lu au cimetière
”RIEN”, de Pierre Reverdy, in Sources du vent, 1949

je ne me souviens de rien
interdite je scrute le rien
et encore

ce décor d’une enfance
où un je a vécu
où un autre a vécu et tant écrit

plus rien qui danse
c’est si difficile
et rien ne rime à rien

plus rien qui danse
et pourtant
ça danse encore

ce décor malaxé
dont le nom répété
crie vie grâce aux morts /

 

 

Le Principe (dévié de son but)

 

 

Le retournement est le Principe, il n’y en a pas d’autre.

Le conte des cervelles : une femme attend des cervelles dans un restaurant, elle s’en pourlèche d’avance, avec les brins de persil qu’elle se représente, elle adore la cervelle,
mais dans son assiette, le poisson n’en finit pas, elle aime aussi beaucoup le poisson, ce poisson est du cabillaud, il se défait en lamelles, elle aime beaucoup mais quand même, il dure, il dure…

Elle adore la cervelle mais elle attend des cervelles, le pluriel est important.
Dans son assiette, ce poisson n’en finit pas, comme si l’assiette continuait d’être remplie au fur à mesure, elle en est étonnée, comment, je n’ai toujours pas fini ce poisson ? Il en reste encore ? Comme c’est bizarre…
et ces cervelles qui n’arrivent jamais…

Elle a commandé autre chose qui n’arrive pas non plus, mais cet autre chose, elle n’arrive pas à se souvenir ce que c’est, c’est quoi cet autre chose qui n’a ni singulier ni pluriel ni forme ni texture ni couleur ?

• les cervelles ne sont
jamais arrivées
& l’autre mot a disparu,
la chose avec

• s’éloigner de la langue fait attendre
les cervelles, fait languir l’écervelée

                                 Image extraite du court-métrage de Jonathas de Andrade, O Peixe (The Fish), 2016

fonctionnement / expérience / objet

 

 

souvent le mot d’avant surgi par assonance avec celui qui est déjà prêt dans ma tête

exemple : en particulier surgit juste avant particules (fines), comme par hasard, comme si mon cerveau avait besoin de doubler le mot qui vient d’un autre, d’un préalable

expérience :
je bois mon café jusqu’au bout (rien)
je bois mon café jusqu’au fond de la tasse (rien)

==> conclusion : je ne sais pas quand ça se produit (prédictif)

de temps à autre je m’arrête de vivre : ça ne me dit plus rien : j’arrête !

un objet est un objet de torture aussi bien qu’un objet esthétique, un objet à voir, à apprécier, duquel retirer un plaisir esthétique
(le pourtour métallique de l’entrée d’un puits dans lequel un homme ukrainien a été attaché plusieurs heures)

note du 14 février 2023